Etape de Grandson (16 au 18 octobre)
C’est à Grandson que pour la première fois, je commence à sentir sérieusement le froid. Heureusement que Bernard a amené un petit chauffage, qui fait des merveilles dans le tipi. Et on suspend la petite lampe de bateau au-dessus du piano, pour que je puisse encore voir ce que je joue.
Justine m’accompagne pour le trajet d’Yverdon à Grandson, joli petit parcours sans problème, jusqu’au moment où Speedy décide dans sa tête d’âne qu’un pont est dangereux, et refuse donc d’y poser ses sabots. A chaque fois que cela arrive ainsi, je m’étonne du contraste avec sa docilité normale : si l’âne refuse d’aller quelque part, l’être humain peut faire ce qu’il/elle veut, tant que l’animal n’est pas convaincu, c’est non. Et non, c’est NON. Comme on a pu le constater dimanche soir…
Mais n’anticipons pas ; pour le moment, c’est juste le pont qui fait problème, et ce qu’Aude et moi avions essayé entre Vidy et St.-Saphorin sur Morges, à savoir chanter pour détourner son attention des objets potentiellement interprétables comme dangereux, ne marche pas ici. Justine et moi, on peut chanter tout ce qu’on veut, Monsieur Speedy se bloque. Il faut donc faire un détour, qui est cette fois supportable. Contrairement au tronçon entre Pully et Rovéréaz avec Chantal, où les détours-à-cause-de-Speedy-qui-se-bloque nous ont fait effectuer plus de kilomètres que le trajet lui-même…
L’endroit qu’on nous a attribué est majestueux, juste à côté du château de Grandson. Avant même qu’on ait fini de ranger, une jeune femme vient me voir, et je reconnais Céline Banderet, que j’ai fréquentée enfant lorsque j’étais pasteure à Fiez. Cela se produira souvent de cette manière, ces prochains week-ends, où je suis dans un coin connu et aimé : des anciens catéchumènes viennent me présenter leurs enfants ; certains que je reconnais tout de suite et d’autres où ça prend un moment… mais toujours, c’est le visage qui crée le déclic, ce sont les yeux qui rappellent la personne. C’est beau …
En plus, Céline est la copine d’un certain Gabriel que j’ai eu au téléphone il y a quelques mois pour une question de construction de week-end… il est petit le canton !
A partir de Grandson, je me rends compte des avantages de la saison d’été avec âne, roulotte et tipi, car lorsqu’il fait plus froid et que la nuit tombe plus tôt, les gens s’arrêtent moins facilement. En plus, on doit fermer la tente pour éviter que la chaleur ne s’échappe, et puisqu’on est dans le canton de Vaud, on évite de déranger, donc on n’entre pas dans une tente fermée !
Mais il y a quelques moments forts, entre autres les retrouvailles avec Sœur Gabrielle, dont j’ai fait la connaissance au CHUV ; depuis on s’est liées, et je suis toute réjouie de la revoir ! J’aime bien le temps de discussion chez les Zwahlen où je prends ma douche. Je revois aussi Laurence, dont j’ai fait la connaissance à Bofflens, et qui vient passer un bon moment avec son fils. Bernard amène Patricia et Rocky, qui restent tout l’après-midi, c’est bon d’avoir du temps pour se parler.
Dimanche soir, on range dans l’obscurité, heureusement qu’il y a Paul et Christine Hèmes p
our donner un coup de main à Aude, Bernard et Roland. Bernard a pris un van pour transporter Speedy, il est rentré sans broncher dans la bétaillère du paysan à Bofflens, donc on ne se fait pas trop de soucis.
On a tort…
Le non de Speedy devient NON, pour aboutir au NON ! ! ! Qu’importe qu’il y a d’abord deux hommes et deux femmes, ensuite trois hommes et deux femmes décidés. Qu’importe que ces quatre et puis cinq commencent sérieusement à s’impatienter. Qu’importent les conseils des spécialistes d’ânes de la région, appelés à la rescousse. Qu’importe, si on est un âne et qu’on a décidé de ne PAS, de ne vraiment pas mais alors VRAIMENT PAS d’entrer dans un van. Dieu nous a créés forts, nous les ânes, on a l’air de rien, mais notre corps et aussi notre tête, siège de la volonté ânière, sont vraiment bien solides.
Donc laisse-les s’agiter, ces êtres humains, laisse-les cogiter leurs solutions et inventer leurs stratégies, cela les occupe, et détourne leur attention humaine du simple fait que, à moins d’utiliser un tracteur, je ne bouge tout simplement pas. Et pour cela, ils sont trop gentils, je le sais bien, donc qu’est-ce que je rigole ce soir !
Bref, à dix heures le soir, équipée d’une lampe de poche, je marche avec Aude sur la route de Grandson vers les Tuileries, où la gendarmerie, consultée par Roland, nous a indiqué quelques adresses de paysans. Finalement nous arrivons chez Madame Pantet, 87 ans, qui accueille notre âne têtu dans une petite écurie déjà occupée par un chat. Pendant la semaine suivante, elle a tellement de plaisir d’avoir Speedy chez elle qu’elle le présente à tout le voisinnage.
Pour notre part, on finit la soirée chez les Hèmes, autour de la soupe, du fromage et des saucisses qui nous attendaient depuis des heures, et c’est pas mal comme fin du week-end, pas mal du tout… !