De la Prison à l’Abbaye (printemps – été 2011)


EVANGILE EN CHEMIN – le début de la 3. année

Pas évident de commencer… derrière les barbelés, observée par les Sécuritas portant un fusil, et leurs chiens… Etonnant : l’âne, la roulotte, le tipi, la pasteure et même le chien (sous condition de rester dans la tente, vu les chiens de garde patrouillant en permanence) ont pu entrer et rester à la prison de la Colonie à Orbe, du 29 avril au 1 mai. Pas facile à organiser pour l’aumônier Philippe Cosandey, mais qu’est-ce que ça valait la peine ! De super rencontres sous le tipi ; entre les détenus et mes deux bêtes aussi. « Vous savez, ça fait 8 ans que je n’ai pas pu caresser un chien », me confie un homme, en train de brosser Barou dans le tipi. Un autre serre longtemps mon chien dans ses bras, encore un autre fait un super dessin de lui. Dehors, Speedy reçoit les mêmes soins. -Un culte (pas évident avec 23 participants ayant des motivations très diverses !) à la Colonie le samedi soir et à Bochuz le dimanche matin, où tous souhaitent et reçoivent une bénédiction personnelle. Je suis émue par la fragilité et la force des hommes qui me parlent.

L’étape prochaine est le camping d’Orbe, où je suis touchée par l’accueil chaleureux, aussi par le Conseil de paroisse. Speedy a un gros problème de sabot, mais heureusement il est logé chez des spécialistes d’âne, les Michaud d’Orbe, qui le soignent et le transportent 4 semaines de suite ! – Comment décrire les rencontres, toujours nouvelles, toujours imprévues ? Ce qui se passe me coupe souvent le souffle, car ça ne vient pas de moi, je suis juste là, apparemment tout-à-coup au bon moment au bon endroit… J’ai alors le privilège d’être témoin de libérations, de décisions de choisir la vie, de tentatives de rencontrer « celui-là-haut » dont on ne voulait pas parce qu’on le croyait fondamentalement indifférent à nos petites vies à nous… ou impuissant d’y changer quoi que ce soit.

Lignerolle : beaucoup d’enfants, musulmans aussi. On chante, ils écoutent, font des super dessins, posent de super questions ! Beaucoup de vent aussi, je crains pour le tipi mais il tient bon. Beaucoup de partages, après la lecture de certains textes, en se baladant sous la pluie, ou en mangeant ensemble. Un petit garçon handicapé voit sur mon piano un bout de bois sur lequel quelqu’un a écrit le mot « guérison ». Il le prend, se met devant la croix et dit avec beaucoup d’intensité : « Mon Dieu je t’AIME ! » Après il me regarde et dit pensivement : « Tu crois que ça marche mieux quand on tient quelque chose dans sa main ? » Je lui réponds que Dieu n’en a pas besoin mais nous, ça peut nous aider…

Vallorbe : quelques difficultés pratiques : il pleut dans le tipi car le capuchon a décidé de partir, coup de fil de la police concernant une pub non autorisée, pas de lieu où prendre la douche nécessaire pour calmer les douleurs venant de ma maladie musculaire, tipi et roulotte parqués à un endroit bien visible mais difficilement accessible… Une par une, les difficultés se transforment en occasions de rencontre : des gens viennent aider pour descendre le mât et réajuster le capuchon, la police m’encourage, l’accès difficile m’oblige de sortir dans la rue et de me faire offrir des cafés au bistro, et la recherche de la douche me fait faire connaissance, vendredi avec le pasteur et son épouse, les Lasserre, et samedi avec un couple de Vallorbe d’une générosité extraordinaire. Quand je les rencontre au bord de l’Orbe et qu’ils se rendent compte que je suis pasteure, ils me font d’abord bien comprendre que ça fait 50 ans qu’ils n’ont pas mis le pied dans une église et qu’ils ne sont pas prêts à changer. Quand je leur demande, un peu gênée, si je peux prendre ma douche chez eux, non seulement ils acceptent volontiers (après un premier moment de perplexité quand même !), mais en plus je sors de chez eux avec une bonne bouteille de rouge, trois pots de confiture, un gros pot de chanterelles, une bougie sculptée en bois par monsieur lui-même, et une bouteille d’huile de millepertuis (cueillis à la main aux Diablerets !) contre les douleurs…

Vallée de Joux : pour le début : ouf ! Se faire engueuler et chasser de l’endroit où le tipi était prévu par un agriculteur fou furieux, c’est comme on dit une expérience. Pas mauvaise, d’ailleurs, car l’homme en question devient tout gentil après, quand il se rend compte qu’on ne fait pas exprès, qu’on pensait que l’autorisation était acquise, et qu’on cherche juste un lieu pour une pasteure dont le style de vie est un peu différent des autres. Pour finir, on sera à l’Abbaye, et c’est tant mieux ! Week-end un peu fou, où j’ai à peine le temps pour aller aux toilettes, mais tellement fort que j’en suis toute ébranlée. Les gens qui viennent sont si différents : un groupe de catéchumènes avec leur pasteur, Vanessa Strub, avec qui on partage la liturgie copte du matin – les paroissiens avec qui je vis un culte au bord du lac – des non-paroissiens qui me disent que je suis folle de croire en un Dieu, mais qui prennent soin de moi avec un repas chaud – une personne ayant vécu 15 ans avec une sorte d’interdiction de vivre, imposée par elle-même, qui décide tout-à-coup de changer complètement de cap – des gens souffrant de burn-out et/ou de dépression qui ouvrent et offrent un petit bout de leur vie, de leur recherche, de leur beauté – des gens qui viennent juste partager un café ou un repas, un pianiste professionnel qui vient nous jouer du jazz sous le tipi – j’ai en moi comme un tableau impressionniste, vif, intense, douloureux et coloré d’espoir au même endroit… un tableau fait de gens pleins de sagesse, d’expériences, de joie de vivre et de douleurs, fait d’un Dieu plein de compassion qui s’intéresse vivement à toutes ces histoires individuelles et qui veut et peut agir avec une finesse et un savoir-faire bouleversants… mais qui parfois aussi semble étrangement silencieux… – Un week-end avec des couleurs tellement intenses et mélangées que je rentre chez moi vers minuit le coeur presque trop plein, lessivée mais reconnaissante.

Hetty Overeem, pasteure-nomade Evangile-en-chemin