Nouvelles du Flon


Rencontre d'après-midi

Rencontre d’après-midi

 

Evangile-en-chemin fait son chemin…

Nouvelles avril – août

 

Un jeune
vient. « Je suis choqué, tu sais qu’il y a eu un mort ce matin
ici ? » Il me montre les images qu’il a prises avec son Natel.
« Tu sais pourquoi ? Pour une histoire de briquet. De briquet, c’est
dingue. Puis le type était là, par terre, en hurlant… Je suis choqué que
ça peut aller aussi vite que ça… »

Ces
nouvelles d’Evangile-en-chemin sur la période avril – août vont commencer par
la fin…  car je suis encore toute remplie
de ce dernier week-end du 4/5 août. Qui était rempli lui aussi, dans le sens littéral
du mot : je ne pense pas qu’il y a eu un moment creux durant ces deux
journées/soirées au Flon.

Oui, au
Flon. Vous voyez : on continue au Flon – en plus du tipi et de la
roulotte. L’endroit était trop magnifique pour l’abandonner ; le directeur
du LEB n’a pas encore pris sa décision définitive, mais jusqu’à ce qu’il la
prenne on est au Flon et on y reste. Cela m’a fait du bien, quand je suis
rentrée après la pause des vacances du mois de juin, que des jeunes me
disent : « On a discuté entre nous et on est vraiment contents que tu
reviennes ! » Une reconnaissance qui me réchauffe le cœur.

La sérénité
de notre cabane a été un peu perturbée ces derniers temps par une
tentative « d’entrer » (plutôt que de cambriolage, puisqu’il n’y a
rien à cambrioler…) et quelques « défoulements » sur le toit, qui ont
laissé des failles et des vis tordues. Heureusement qu’il y a Bernard pour tout
de suite réparer…

« On ne sait pas qui a fait ça mais tu
vois, c’est les ravages de l’alcool et de la drogue » me disent les jeunes
quand je leur montre la cabane un peu amochée.
–  C’est drôle d’entendre ça de
leur bouche…   –  Ils continuent : « Mais c’est pas
pour détruire ; franchement, si quelqu’un voulait détruire, ça serait fait
depuis longtemps…  Elle est là, ta
cabane, t’es d’accord, elle résiste ! »

Mais je
voulais vous parler de ce week-end.

Samedi
matin : Avec bonheur j’installe la cabane autour de 8.45, essaye de la
rendre accueillante. Il n’y a personne pour la prière du matin, mais en plein
milieu un habitué entre, et je lui fais un café (C’est toujours un choix
conscient : donner priorité au déroulement « normal » ou à une
personne qui vient ? Chaque fois je décide un peu « au pif »).

En fait – au
lieu de donner un compte rendu exact je vais vous donner un mélange des moments
et des personnes sur ma route, ce week-end ; ça me laisse aussi plus libre
dans ce que je raconte et me permet de dire davantage que des petites
anecdotes.

Alors, ce
qui me frappe, comme si souvent,  c’est
le mélange : de personnes, de couches de la société, d’âges, de pensées,
de situations…    Voici pêle-mêle quelques
rencontres :

 

Un homme
passe, veut prendre son métro, me voit dehors devant la cabane, s’arrête, veut
savoir qui je suis et ce que je fais là. Quand j’explique, il me dit :
« C’est très bien. Mais est-ce que vous avez fait l’expérience de l’Esprit
Saint qui vous fait trembler, qui vous écrase, vous enlève à votre corps et
vous fait faire un voyage astral ? »

Euh, non…

Il me
regarde, presque avec un peu de pitié : « Alors, vous n’êtes pas
branchée sur la gnose ? Il faut. Et il faut absolument lire l’évangile
selon Philippe. Sinon vous êtes à côté de la plaque. Et vous devez faire cette
expérience de l’Esprit Saint qui vous fait vivre des choses totalement
incroyables, je vous dis, ça fait des sifflements dans ma tête, très fort, ça
rend immense, grand, puissant !
Mais pour vivre ça, il faut quitter l’institution. »

Alors, la
discussion bat son plein. Quand je résiste un peu en disant que j’ai
l’impression que le boulot de l’Esprit Saint (non pas juste « selon moi »,
comme on aime dire, mais selon les Ecritures) consiste moins à me faire faire
des voyages astrals(on dit comme ça en français, le pluriel ?! )ou à me
faire siffler ma tête, qu’à me conduire au bout des paroles de Jésus, en
faisant de plus en plus connaissance mais aussi l’expérience de la vérité dans
ces paroles – il rit. « Ouais ouais, encore quelqu’un qui est enfermé dans
les dogmes de l’institution, vous faites du prosélytisme, là ! »

Ah
oui ? Savais pas. Mais je sais que c’est l’argument le plus répandu dès
qu’on dit à peu près clairement ce qu’on pense : « Mais c’est du
prosélytisme ! » Bon, pas grave. L’homme, très sympathique
d’ailleurs, continue à vouloir me convaincre de ses idées à lui, tout en me
reprochant le prosélytisme.  Puis prend
son métro.

 

Un homme de
l’équipe de nettoyage vient boire un café, on discute – longuement. Il me
confie ses pensées, j’apprends tellement de choses.

 

Un jeune
entre, dit qu’il a enfin pleuré ; pleuré de sa propre histoire qu’il a
commencé à écrire. Il dit qu’il a beaucoup de peine à prier. Il craint les
pièges, les manipulations. Mais surtout, j’ai l’impression, il craint la
rencontre réelle avec un Dieu réel. Alors il s’enfuit dans des longs discours
autour de « on » : de ce qu’on dit, croit, fait, pense…  Et quand je le ramène à lui, il y reste un
moment mais très vite s’enfuit à nouveau. Puis il dit : « Je ne sais
pas comment m’adresser à Dieu. Faut faire comment ? Faut dire quoi ?
Faut aller dans un lieu comme la cathédrale ? Et j’utilise quoi comme
mots ?»

Christian,
de mon groupe de soutien (Merci à vous, Christian, Roland, Jean-Claude, d’être
souvent là !) lui dit : « Tu lui parles, tout simplement, comme
tu nous parles maintenant. »                                                                                                                  Cela
semble beaucoup trop simple, alors le jeune risque de partir à nouveau dans des
grands discours, jusqu’à ce que je lui demande : « As-tu envie
d’essayer ici, maintenant, avec nous ? Ou tu préfères vivre ça seul, chez
toi, ou avec d’autres personnes ? »  Car je sens qu’il meurt d’envie – et de peur.

Alors, ayant
quand même plus envie que peur, il y va. Dommage que je ne peux pas vous dire
ici ses paroles. C’était tellement beau, j’en avais – et j’en ai – des
frissons.

 

Deux
habitués entrent. On chante leurs deux chants préférés. L’un d’eux montre la
blessure qu’il s’est infligée lui-même. « Voulais mourir. »

 

Un homme
musulman raconte : « J’ai le sentiment que je dois faire beaucoup
d’efforts. Beaucoup, beaucoup d’efforts. Accumuler des points, quoi. Et si j’ai
assez accumulé, ben, je ne suis pas encore sûr de pouvoir aller au paradis. Car
qui sait, j’en ai peut-être pas assez. Dieu peut toujours encore me
condamner. Il est Dieu… »                                                                      Cela me fait mal au cœur d’entendre  ça.  Je
suis remplie de reconnaissance de pouvoir connaître un Dieu qui s’est présenté
autrement. Mais je sais aussi  que je ne
suis pas à l’abri du piège d’accumuler mes points à moi… Et combien de
chrétiens ne perdent pas cette liberté et cette joie de vivre des
« points » que quelqu’un d’Autre a  « accumulés »  –  pour
nous ?

 

Un homme me
raconte un bout de son vécu.  Des
exorcistes, des démons, des gens possédés…  les caractéristiques des démons, et comment
ils résistent lors d’une prière de libération…

 

Une jeune me
dit : « Avant, je venais volontiers ici. Mais depuis qu’il y a … (un
certain groupe) je n’aime plus. »  –  Ceci
n’est d’ailleurs pas facile pour moi à gérer. Je sais que certaines personnes/groupes
ne se supportent pas. Je demande le respect pour tous dans la cabane – mais ce
n’est pas toujours évident…

 

Un homme me
raconte sa vie dans un quartier chaud de Paris…
Des règles, des lois écrites nulle part mais très précises… des choses à
ne pas dire ou faire au risque de ne pas seulement perdre quelques dents, mais
sa vie…

 

Un jeune
entre, vit un bout de prière et de chant avec nous. Il se déclare envoyé par
Dieu pour « condamner les connards », un justicier des derniers
temps. Quand il trouve dans la cabane l’écoute mais pas l’écho souhaité il se
lève et part, fâché.

 

Entretemps
je fais deux cultes de remplacement à St. Jacques et St. François. J’aime bien,
mais ce n’est pas facile de faire le pont, l’ambiance est tellement différente.
Et je me rends compte que je suis très fatiguée, je suis arrivée à 8.45 le
samedi matin à la cabane, on est parti à minuit ; dimanche  je me suis levée à 6.45, et après deux cultes
le dimanche matin c’est à nouveau la cabane, jusqu’à 22 h, car on doit ranger
et préparer tout le matériel pour le tipi : le week-end prochain on sera
au camping d’Orbe avec l’âne Speedy – le week-end après à la cabane – le
week-end ensuite avec Speedy aux prisons de Bochuz et de la Colonie – et le
week-end après à la cabane. Depuis le culte d’envoi du 29 avril cette année à
Crêt-Bérard j’étais tous les week-ends (sauf deux, vacances d’été) au tipi ou à
la cabane, et deux fois à la maison pour l’administration autour de ce travail,
restée en rade.  C’est
« poussé », comme rythme, et parfois je ne veux qu’une chose :
dormir ! Mais il suffit qu’une nouvelle aventure de rencontre commence et
hop ! C’est reparti !

 

Un moment de
partage joyeux avec une dame de 87 ans, avec une « expérience de
chrétienne » de presqu’autant…
J’apprends beaucoup de choses en très peu de temps…

 

Trois jeunes
entrent, on boit le café, on parle encore une fois de l’horrible événement de
ce matin, on échange des expériences de vie. Et on planifie une soirée fondue
chinoise pour le samedi en deux semaines, avec d’autres potes : on sera
dix, donc serrés comme des sardines autour de la table – mais je me réjouis
déjà !

 

Une jeune
entre, raconte à quel point il est important de croire en une dame « qui a
tout récemment souffert l’enfer pour nous tous, pour nous
sauver. « Vous n’y croyez pas ? Ben, vous avez une foi de m…
alors. »

 

Je crois que
je m’arrête là, ça vous donne une impression de ce week-end passé… Mais je ne
vous cache pas la pensée qui me vient en regardant ainsi en arrière :

C’est un peu
comme si, lorsqu’on chasse l’Original par la porte, la caricature ne tarde pas
d’arriver par la fenêtre :

-Dans
beaucoup d’églises  ce n’était pas considéré
comme spirituellement correct de parler « trop » (c’est quoi,
trop ?!) du Saint Esprit et des manifestations de sa puissance. Alors elle
est vite là, la caricature : un esprit qui fait siffler des oreilles, qui
fait sortir du corps pour un voyage astral (oui, moi aussi je connais la vision
de Paul selon 2 Corinthiens 12, seulement, celle-là était décrite avec une
certaine retenue, même une certaine réticence, et surtout pas comme une
expérience obligatoire pour tous – en plus, elle était suivie par la fameuse
écharde dans la chair, et la faiblesse dans laquelle se manifeste la puissance
du Christ…)

-On préfère
parfois chasser la parole de la souffrance du Christ à la croix pour nous sauver
– mais la voilà vite de retour dans la « nouvelle version »
caricaturale d’une invitation, voire une obligation de croire en une dame qui a
souffert pour nous sauver et sans qui nous serions perdus…

-On n’aime
plus tellement parler du Dieu Tout-Puissant, ni du Dieu-Juge (et c’est vrai qu’il
y a eu des dérapages). Mais si on le remplace par un Dieu qui n’est que faible,
petit, fragile, blessé ; et uniquement tendre, accueillant, souriant  – en balayant sa colère  – n’est-ce pas créer un vide dans lequel  la caricature d’un justicier qui va « condamner
les connards » va pouvoir s’installer ?

-L’idée  (apparemment répandue chez pas mal de
chrétiens), qu’il serait un peu superflu et dépassé de lire et connaître la
Bible, semble aller de pair avec un renvoi constant au cœur ; un peu comme
si ce cœur était le critère absolu de vérité. Beaucoup de personnes « entendent
Dieu leur dire que… », sont appelées par « une voix dans leur
cœur » à des missions pour le moins étranges faisant d’eux des
« grands élus »… Des personnes ainsi  un peu noyées dans leur subjectivité n’ont que
peu de moyens pour résister à leurs propres pièges, puisque, comme elles
disent, « leur cœur ne peut pas les tromper » …

Je ne veux
pas faire des liens simplistes de cause à effet – mais ces dernières années en
route avec le tipi et dans un hangar, un wagon de train et une cabane au Flon
me laissent souvent bien pensive par rapport à ce que les gens me disent de notre
témoignage chrétien…

Bon !
Après cette excursion  retournons au
tipi ! Il était placé à Lutry le 4 – 6 mai, ce premier week-end après le
culte d’envoi à Crêt-Bérard qui, d’ailleurs, faisait chaud au cœur. Bien placé,
au bord du lac – presque trop bien, car le nombre de visiteurs est sympa et
serait gratifiant si on voulait tenir des statistiques (ce qu’on ne veut
pas !), mais empêche aussi des discussions qui aillent plus loin. C’est
plutôt en chemin avec Speedy et Barou que j’ai pu parler plus profondément avec
quelques personnes – et la nuit. C’est
d’ailleurs pareil pour Vevey, le week-end du 1 – 3 juin, et Villeneuve, le 8 –
10 juin : c’est génial de rencontrer toute cette quantité de personnes,
mais souvent on a à peine commencé un bout de partage qu’il y a déjà d’autres
personnes qui arrivent. Sauf – toujours – ! la nuit. Elle s’y prête bien,
la nuit, pour des discussions, où l’on peut se dire comme on est, sans masque,
sans prétention…

A Lutry il y
a une chouette collaboration avec Benjamin Corbaz, jeune pasteur sur place, et
le conseil de paroisse qui a cherché et trouvé en urgence un autre endroit que
celui prévu au début. Et avec la municipalité et le syndic, qui refusent de
nous laisser payer pour les traces que Speedy a laissées dans leur parc :
il a mangé des bancs !

La personne
chez qui  je prends ma douche, Roswitha, reste
dans mon cœur. On se parle comme si on était des amies de longue date, et elle
fait un grand cadeau à Evangile-en-chemin : une assiette et deux coupes en
argent pour la Sainte Cène !

Dans ces
trois endroits au bord du Léman je collabore pour les cultes : à Lutry au
temple ; à Vevey, avec Gérard Pella, c’est la paroisse qui se
déplace : on fait une rencontre devant le tipi (il fait beau !) sur
l’évangélisation le vendredi soir, le samedi on célèbre l’office du soir
ensemble. Et je retrouve Mike et sa guitare. Mike, animateur de la ville de
Vevey, ami depuis que je suis venue en Suisse avec mon amie Thea Well,
maintenant Maffli, pour un premier camp de ski. Mike, qui m’a déménagée :
depuis Göttingen, où je faisais mes études de théologie, à Vevey, dans sa
voiture dont le fond touchait presque la route, tellement elle était
chargée !

Le dimanche matin je quitte le tipi pour faire
la prédication de l’installation du pasteur Alain Wirth au Mont – ça me fait un
immense plaisir, et Christian veille sur le tipi et Speedy. A Villeneuve je
participe à la semaine œcuménique sur le thème de « l’Essentiel », ça
aussi c’est un grand plaisir.

Je pense à
quelques rencontres sous le tipi. L’une tardive, après minuit : un moment
fort avec un jeune couple qui passe, « tombe » sur le tipi et reste
pour discuter. Longtemps. Car
l’Essentiel prend souvent un peu de temps…

Une autre
rencontre a lieu après le repas du soir : encore une fois un jeune couple,
mais cette fois qui a pris rendez-vous pour parler de la foi, de son
contenu : est-ce que tout est libre, ouvert, changeable ? Ou y a-t-il
des « ingrédients » dans la foi chrétienne sans lesquels cette foi
n’est tout simplement plus chrétienne ? Une personne de Vevey est restée
pour la discussion, Christian est là aussi, nous essayons de voir plus clair
ensemble. Les deux semblent presque déçus : le tipi semble si ouvert, le
décor si « hors institution » : pourquoi alors tenir à tout prix
à un fondement précis, un contenu pas adapté au goût et aux expériences de
chacun ? Et en même temps, ils sentent que nous sommes simplement
vrais   –  avec nous-mêmes et nos convictions, bien sûr –
mais aussi avec ce que l’Evangile nous dit sur Dieu. On ne peut jamais avoir
tout compris de lui – il y a beaucoup de place pour des couleurs
différentes !, mais on ne peut pas non plus façonner Dieu à notre image…

Encore un
souvenir : une discussion sur des célébrations occultes. Je n’entre pas en
détail ici ; sous le tipi j’essaye de dire qu’il y a danger, piège,
manipulation. « Oui, mais vous jugez ! » Est-ce que c’est
juger ? Indiquer un danger qu’on perçoit ?

A côté de
ces thèmes parfois lourds il y a aussi beaucoup de rires, de moments légers, de
complicité avec les gens sur place. A Villeneuve on est chouchoutés, à midi et
le soir le repas est servi au tipi : non pas par moi, comme c’est en
général le cas, mais par des paroissiennes que le pasteur (et ami !)
Michel Lemaire a trouvées pour ce service – wow !, c’est autre chose que
les repas pas très élaborés  de la
pasteure d’Evangile-en-chemin… !

Les autres
week-ends se passent au Flon. Mais je vois que ces nouvelles deviennent
longues, donc je m’arrête là. J’ajoute juste encore que le week-end de
Pentecôte était un des plus forts. Et on fête « l’anniversaire » de
Christian, qui a vécu sa conversion le jour de Pentecôte de l’année passée,
quand le tipi était installé à côté de chez lui… !

Hetty
Overeem, pasteure d’Evangile-en-chemin

 

 

 

 

 

 

 

 

NOUVELLES DU FLON  – janvier – avril 2012

Quel cadeau, cette cabane au Flon…

Chaque samedi matin, quand j’arrive vers 8.30, je suis soulagée et joyeuse de la redécouvrir, debout, pas abîmée. Parfois un peu sale, une fois tâchée par du sang et de la vomissure (heureusement qu’il y a de l’eau chaude et des produits de nettoyage à côté, dans la cuisine du LEB…) –  mais elle est là, sereine,
modeste dans son coin au-dessous des escaliers.

C’est un plaisir de la préparer pour les deux journées. D’abord brancher l’électricité, remplir la bouilloire pour le thé à l’orange dont les gens vont se servir dehors… Pour arriver à la cuisine il faut parfois bien naviguer pour ne pas glisser sur l’urine mélangée à des boissons – l’équipe de nettoyage, courageuse, a déjà fait son travail, mais depuis il y a ceux qui ont fait la nuit blanche qui sont passés par là …

Prendre le piano dans la cuisine, remplir une deuxième bouilloire pour le café, sortir la table et des chaises, mettre la nappe, la bougie ; retrouver les feuilles « Servez-vous ! », chercher les biscuits qui sont toujours rangés à des endroits impossibles par des mains de bonne volonté du week-end précédent, allumer les petites maisons décoratives hollandaises derrière la fenêtre (un peu kitch mais si sympa !) ; faire le thé, surtout ne pas oublier le sucre (« Madàme !! Y a pas assez d’sucre !! » est peut-être le cri le plus fréquent autour de la cabane, à côté de « Madame, c’est marqué « Servez-vous » mais y a plus rien ! »). Mettre un sac de poubelle, allumer les bougies dans la cabane, nettoyer la table à l’intérieur, ramasser de gros flocons de poil de chien, essayer de trouver les cartes et les papillons qui, d’un week-end à l’autre, ont tendance à disparaître mystérieusement…

Pendant que je cours, les premières personnes viennent déjà, s’installent sur les chaises dehors, posent des questions, boivent un café. Elles restent parfois pour l’office du matin qui commence à 9.00 – disons, qui est censé commencer à 9.00, les gens sont plus importants que l’horaire – mais c’est plutôt rare, la plupart m’assurent qu’ils ne sont pas chrétiens, ou qu’ils ont quitté l’église, mais qu’ils trouvent sympa d’être accueillis ici. Souvent le simple fait d’expliquer pourquoi ils ne restent pas devient un
tremplin pour toute une discussion – d’où nos horaires plutôt flexibles à la cabane !

Justement, un de ces derniers week-ends, un jeune reste. Il est sans domicile fixe et revient volontiers à la cabane pour discuter. Quand je l’entends dire à côté de moi les paroles si denses basées sur la liturgie orthodoxe copte, je suis émue : il a beau s’afficher non-chrétien, il dit ces textes avec tout son cœur et avec une intensité que j’ai déjà découverte plusieurs fois chez des gens qui n’ont absolument pas l’habitude de quoi que ce soit de religieux.

Voilà, je fais faire ça : rassembler plusieurs week-ends dans un seul ; comme ça vous, les lecteurs, vous pouvez vivre un week-end avec moi et ça vous donne une idée de ce qui se passe.

Pendant l’office du matin, pas mal de va-et-vient : des personnes qui demandent si elles peuvent vraiment se servir et
si ça ne coûte vraiment rien ; une jeune que j’invite à rester, qui me dit : « Surtout pas ! Mais je reviens pour le café ! » ; un homme assez bruyant qui s’installe lourdement à la table, s’énerve à cause du chien, interrompt la lecture que Roland de mon groupe de soutien est en train de faire en hurlant son mécontentement, puis il part… Il revient deux heures plus tard pour manger quelque chose ; et deux jeunes qui ont fait la nuit blanche et entrent pour dire bonjour. Je connais bien un des deux, et ils sont d’accord de
participer un moment à l’office, tout en mettant bien au clair qu’ils sont musulmans – ok, mais ils sont les bienvenus !, ils le sentent et s’asseyent. On raccourcit l’office, il ne faut pas charger le bateau trop lourdement pour ces deux, mais on choisit encore un chant. Ils se regardent, un peu perplexes. « Notre musique est, euh, différente », concèdent-ils – mais quand on leur demande d’intégrer cette musique là, dans l’office, ils sont même d’accord. Et voilà qu’un rap assez violent sert de « postlude » à la liturgie venant des pères du désert mais, c’est drôle, sans faire tâche : c’est la réalité qui sort à ce moment-là ;
la réalité de toute une vie ressentie comme menacée, arbitraire, déjà cassée – avec quand même l’espoir que quelque chose, quelque part, pourrait changer…

Après le café, un petit moment calme, où j’essaye de répondre à quelques sms reçus par des personnes ayant passé une fois par le tipi, le train à Echallens ou ici, au Flon. J’aime bien m’asseoir dehors avec Barou, même s’il fait froid ; les gens viennent facilement dire bonjour, à moi ou – très souvent ! – au chien.

Un homme s’arrête : « Vous faites quoi là ? Ah bon, vous avez le temps ? Vous savez, je prends le LEB, j’ai encore quelques minutes. Je ne vais pas bien, vous savez, ma femme veut me quitter… »

On parle, on prie dehors, sur le quai, ça fait bizarre mais je commence à avoir l’habitude.
Puis il prend son train, moi je rentre dans la cabane, il fait trop froid dehors.

Un jeune entre, je ne l’ai jamais vu, il veut savoir qui je suis et se lance sans tarder dans la raison de sa venue : il a un problème avec ses parents, et d’autres difficultés qui en résultent. « J’ai beaucoup prié mais je ne le fais plus, Dieu n’a rien fait pour moi. J’aimerais tellement être quelqu’un pour quelqu’un… »

Puisqu’il n’a qu’un quart d’heure, on cherche l’essentiel, on fait un petit bout de chemin, on prie, il part…

Deux hommes entrent. Ceux-là, je les connais, ils sont déjà venus à l’office du soir. L’un est musulman, l’autre catholique, ils aiment découvrir et mettre en question la foi de l’autre. On discute, ça se prolonge, on mange ensemble. Un autre homme
se joint, il part avant l’office, les deux premiers restent. La rencontre de la mi-journée implique la prière pour ceux qui l’ont demandé. C’est toujours étonnant et beau de prier pour d’autres, de les confier à ce Dieu qui sait ce qu’il fait, même si nous ne voyons pas le résultat.

C’est l’heure de sortir Barou au parc de Montbenon. Une feuille sur la porte annonce que je serai de retour dans une demi-heure. En rentrant je pars directement dans la cuisine du LEB pour préparer la fondue chinoise – cette fois pour 7 garçons qui ont demandé pouvoir venir en équipe, « Pas d’autres personnes !, comme ça on se sent plus à l’aise. »

Quelqu’un frappe à la porte (encore une autre feuille sur la porte de la cabane : « Suis à côté dans la cuisine, toquez à la fenêtre ou téléphonez au no 079 -886.03.73 !), une dame de la rue, son copain est décédé cette semaine, elle ne va pas bien. On rentre un moment dans la cabane, d’autres personnes entrent mais nous deux on parle entre nous, tandis que Christian de mon groupe
de soutien, qui vient toujours autour de 16 h., sert un café aux autres. Nous prions, elle part… Des jeunes entrent, ils viennent pour l’office du soir. Au début, comme ils l’avaient annoncé franchement, « parce qu’on n’a rien d’autre à faire » – mais plus récemment, parce qu’ils ont réellement du plaisir, surtout à chanter. Etonnant, comme ils choisissent les chants, dont ils ne connaissent aucun, selon le titre qui leur fait tilt… le favori d’un d’entre eux est « J’ai soif de ta présence ». Quand je lui demande pourquoi
il aime particulièrement ce chant il répond : « Ca me touche… »

On chante donc, quelqu’un choisit un chant de Taizé, « La ténèbre n’est point ténèbre devant toi, la nuit comme le jour est lumière », nous lisons ensemble à haute voix le psaume 139, après un moment de silence chacun choisit une phrase et, s’il le veut bien, dit en quoi ces paroles l’interpellent. Un homme entre, chante une partie du chant avec nous, part pour prendre son métro.
Un jeune ouvre la porte, regarde, claque la porte et s’enfuit. Un autre jeune ouvre, hurle quelque chose, part (Il revient dimanche). Un de nos « habitués » entre, s’assied, écoute un chant et sort pour fumer une clope. Un jeune entre, participe un moment à la discussion, puis part pour prendre son LEB.

Après l’office, deux de l’équipe de sept attendus pour la soirée entrent. « On cherche les autres, on ne les trouve pas. »  – Bon, pour une fois qu’on aura à manger abondamment, souvent c’est un peu restreint à cause des participants de la dernière minute…
Nous ne sommes que quatre alors, pas grave, parfois on discute mieux en petit comité. Après un moment l’un d’eux explique que les autres ne sont pas venus pour une raison précise : après les premiers contacts sympas devant et
dans la cabane ils se sont tout à coup posé la question : Est-ce que quelque chose se cache là-derrière ? Qu’est-ce qu’on nous veut ?
Est-ce qu’elle est vraiment gratuite, cette fondue, ou y a-t-il une contre-prestation après ? « C’est pas normal que ça soit gratuit, ça
n’existe plus ! »

Un peu plus tard deux copains, en voyant leurs deux amis toujours sains et saufs, lucides et en train de manger une fondue apparemment excellente, entrent quand-même.
Quand les deux premiers racontent en rigolant que je sais maintenant pourquoi ils ne sont pas venus, ils se fâchent : « Mais quel c… pourquoi tu lui as dit ?! » Je leur dis que je les comprends, la gratuité c’est spécial, c’est différent, mais pas pour autant dangereux… et assez vite on parle de la vie aujourd’hui, de leur vie aujourd’hui, de la violence omniprésente au Flon, à Lausanne, aussi bien individuelle qu’entre équipes.  J’essaye de dire à quel point on est vite dans un cercle vicieux : je t’insulte, tu
m’insultes encore plus fort, je te tape, tu me tapes encore plus fort… Mieux essayer de ne pas entrer dans ce jeu et rester plus libre, non ? Mieux essayer de désamorcer la bombe en parlant franchement mais sans violence, non ?

Non, visiblement pas. Les quatre garçons me regardent avec un petit sourire, comme on regarde avec compassion quelqu’un de gentil mais terriblement naïf. Ca me fait rire, je veux savoir ce qu’ils pensent.  Ils hésitent, puis l’un d’eux se lance  « Vous
savez, ce que vous dites, c’est peut-être valable pour des gens d’ailleurs, ceux qui vont aux écoles privées, ceux qui vont au gymnase. Nous… comment vous dire… avec nous ça joue pas du tout. Si on faisait comme vous dites, on serait mort ! Les autres sauraient tout de suite qu’on est un con, un mou, puis après tout le monde peut faire de nous ce qu’ils veulent. Entre nous, c’est
justement le contraire, je vous explique : Quelqu’un me tape, je vais chercher mes copains, on lui casse la gueule tellement fort qu’il ne va plus pouvoir se relever, alors ça marche, il ne va plus jamais faire ça. C’est clair, il ne nous embête plus, nous on ne l’embête plus. »

Je ne peux m’empêcher de voir une certaine logique là-derrière, même si ce n’est pas la mienne… Ou est-ce parfois aussi la mienne, mais de façon plus subtile, par des mots… ?

On parle aussi de l’esprit-équipe. Pour eux, c’est comme la famille qu’ils n’ont pas eue, ou dont ils ne savent pas que faire. On se bagarre, mais si quelqu’un de l’extérieur menace un membre de cette « famille secondaire », on devient comme une seule entité : on se défend, on tape, on irait jusque risquer sa vie, tellement c’est important de faire partie du groupe et d’y avoir une place.

Comme si souvent, je suis touchée par ces vies, cette culture que je connais si mal, ces lois d’un autre monde qui règnent pourtant dans ce monde. Je suis touchée aussi par le fatalisme que je sens chez ces jeunes, la peur derrière la violence ; l’immense besoin d’amour, de clarté, d’un cadre très ferme et, surtout, d’un mélange entre ces trois éléments. Et j’ai envie d’offrir un tout
petit bout de ça à la cabane, un petit moment dans une ambiance différente, dans la présence de Quelqu’un qui ne veut que ça : offrir un mélange d’amour, de clarté, de cadre ferme, à ses enfants qui ont perdu leurs points de repère.

Dimanche matin, 8.30. Même scénario, préparer la cabane. Mon thermos n’est pas encore arrivé sur la table dehors que déjà trois hommes s’arrêtent. Ils ont fait la nuit blanche et sont curieux de savoir ce que cette cabane fait là. On boit le café ensemble, Roland de mon groupe de soutien arrive, on discute, questions de relations entre hommes et femmes, et surtout, des difficultés fréquentes dans ces relations…

L’office commence avec une heure de retard. Pas grave, j’ai le temps.

Une femme arrive, les yeux rouges de larmes. L’autre personne qui a participé à l’office part afin de nous laisser ensemble pour parler. En partant elle embrasse la femme qui pleure, petit geste de solidarité entre deux femmes qui ne se sont jamais vues mais qui partagent la lourdeur des problèmes que la vie peut nous réserver.

Pendant la discussion deux hommes frappent à la porte, veulent entrer, je leur demande de revenir un peu plus tard. L’un d’eux arrive une heure plus tard, s’assied. « Comment tu vas ? » je lui demande. « A ton avis ? » il rétorque. Puis suit un partage sur une blessure d’enfance, profondément enfouie mais déterminant ses relations avec les autres.
Comment s’en sortir ? Je lui propose deux pistes, l’une plutôt psychologique, l’autre un mélange entre une approche psychologique et la prière.
Il préfère « sans prière, c’est déjà assez compliqué comme ça ! »

Un homme sans domicile fixe entre, me dit son ras-le-bol d’être toujours dans les mêmes fringues, ça repousse les filles et ça enlève la dignité – il se décide de se prendre en mains et de se procurer de nouveaux habits, ça va l’aider à avoir
plus de respect pour lui-même. Innocemment je lui demande comment il va faire. « J’vais les voler » est sa réponse. Je fais un rapide calcul des copains ayant à peu près la même taille… quelques coups de fil.

A quatre on mange les restes de la fondue du samedi soir, ça produit une soupe excellente. La rencontre de la mi-journée est faite presque exclusivement de chants, les trois jeunes aiment beaucoup chanter, découvrir – et moi j’aime beaucoup expliquer ce que les mots veulent dire.

Sortie du chien, rapide parce que c’est devenu tard. Quand je rentre un homme me demande s’il peut vite brancher son Natel, le temps de charger assez pour pouvoir faire un coup de fil important. Pas de problème. Je remets un thermos de thé, des
biscuits dehors, et tombe sur un petit groupe de jeunes. J’ai déjà discuté avec l’un d’eux mais maintenant ça ne semble pas propice, il a trop bu. Il insiste : il veut prier avec moi et ses copains.  L’homme du Natel, pressé, sort de la cabane, me lance juste « Merci ! », s’élance pour prendre le prochain métro. Mais le garçon devant moi veut prier et prier on fera. Il chope l’homme du Natel qui n’a aucune envie de quelle que prière que soit, mais les deux copains du garçon le bloquent et il n’ose pas vraiment résister. Il essaye encore un faible « Je suis pressé ! », mais hélas, sa main est déjà prise entre les mains du garçon et ses amis qui le rassurent : « Il est très croyant notre copain ! » Nous donc voilà à côté de la cabane, nos mains les unes sur les autres, moi
refoulant un fou rire, le garçon s’adressant à Dieu et au  monde entier dans un nuage d’alcool, l’homme au Natel totalement perplexe.

Mais Dieu travaille avec ce qu’il trouve. Tout à coup, le garçon s’arrête, regarde mon voisin au Natel et lui dit sobrement : « Merci d’être sur cette terre. » Je regarde celui-ci, pour voir comment il réagit, et lui dis : « C’est beau, ça. » – Il hésite un moment, puis
affirme : « Oui, c’est beau ». Mais je le sens immensément soulagé quand sa main est lâchée et qu’il peut enfin s’enfuir vers son métro…

L’office du soir. Les trois copains sont à nouveau là, et d’autres personnes, un joyeux mélange entre des habitués d’Eglise et ceux qui n’y ont jamais mis le pied.
Cela demande parfois de jongler un peu, car les uns n’ont pas l’habitude des autres. Le patois de Canaan ne passe pas bien, et c’est tant mieux. Je trouve absolument génial d’avoir cette occasion toujours nouvelle d’expliquer les mots qui pour les uns sont plus que connus mais qui ne signifient rien pour les autres : C’est quoi la Sainte Cène ? C’est quoi une bénédiction ? – Dans les églises on parle souvent comme si tout le monde sait de quoi il s’agit, et peut-être c’est même le cas. Ici, dans la cabane, je dois toujours veiller à ce qu’on dise les choses de la façon la plus simple et concrète possible, comme si tout est nouveau. Car tout est souvent nouveau, et c’est si beau… Ce soir par exemple on partage sur le texte où Jésus confronteles Pharisiens. Après quelques minutes de discussion un jeune Français lève la  tête, un peu énervé : « Vous avez quoi contre les Parisiens ? »

Après le moment de partage, la Cène. Puis la bénédiction personnelle. Je demande à chacun s’il ou elle veut la recevoir ce soir – chacun décide pour lui-même, décide aussi de quelle façon il veut la recevoir : « à distance », en imposant les mains, sur la tête, sur les épaules, dans les mains… ce sont de simples gestes mais qui portent de grandes promesses de la part de ce Dieu qui a dit : « Ainsi ils poseront mon nom sur mon peuple, et moi je les bénirai. » (Nombres 6, 27)  Pour moi c’est un immense cadeau de poser mes mains sur une tête ou une épaule – un immense défi aussi : qu’est-ce que Jésus-Christ veut dire à cette personne personnellement, concrètement ? Je lui demande, j’essaye de l’écouter… j’ « entends » un mot, je vois une image, j’ai une pensée
… et j’y vais comme ça. Ensuite quelqu’un d’autre me bénit, moi. Cela sera peut-être la première fois pour cette personne – mais on apprend en faisant !

On mange avec ceux qui ont le temps de rester – du pain, du fromage, quelques tomates qu’une personne a amenées, les fruits que le membre d’une communauté bouddhiste nous a donnés en passant (« Ce sont les restes de notre fête de ce matin, c’est pour vous ! »). Tout a meilleur goût quand on partage… Puis nous débarrassons assez rapidement ; samedi soir c’était 23.30 quand on
fermait la cabane, le dimanche je dois encore rentrer chez moi à la montagne, donc on ne fait pas tard.

Je ferme la porte. Mais les visages et les paroles des gens rencontrés ce week-end, je les prends avec moi.

 

Evangile-en-chemin au Flon (novembre – décembre 2011)

Quelques moments en vrac, pour vous donner une impression…

Trois jeunes en train de manger la fondue chinoise du samedi soir à la cabane (fondue ouverte à tous et gratuite, mais il faut s’inscrire au no 079 – 886.03.73 !). L’un d’eux commence à raconter l’histoire de sa vie. Ses copains le regardent, perplexes : « Tu ne nous as jamais raconté ça ! »   Sa réponse : « Il y a des lieux et des moments où, tout à coup, on peut parler… »

Le samedi de Noël, j’avais préparé la fondue pour deux, Christian du groupe de soutien et moi, en pensant qu’il faudrait assez pour trois personnes, on ne sait jamais…     Effectivement, on ne sait jamais : on était neuf à la manger, ce soir-là ! D’abord deux membres de mon ancienne chorale, puis deux jeunes qui avaient entendu parler de la fondue et demandent s’ils peuvent venir, et enfin trois jeunes sur les escaliers qui ont envie de se joindre. Je leur dis : « Ou bien ce n’est pas possible, parce que
vous ne vous êtes pas inscrits – ou bien c’est possible, mais alors on partage ce qu’il y a ! » – « Ouais, on partage ! » Commence
alors un vrai moment de partage, dans tous les sens. La seule chose difficile,c’est quand un des jeunes commence à parler de choses plus profondes et les autres rigolent. Il s’arrête net alors, en disant : « Merde, on ne peut jamais dire ce qu’on pense… » Mais rien que ça, ça interpelle.

Moi, je suis très souvent interpellée. Interpellée par le peu d’espoir qu’ont ces jeunes, le peu d’avenir qu’ils voient. Ils m’expliquent un soir : « Ici, les week-ends, on se défonce. Pendant toute la semaine on doit marcher au pas, faire ce qu’on nous dit de faire. Alors les week-ends, on donne un grand coup de pied à cette société dont on ne veut pas et qui ne veut pas de nous. On fait ce qu’on veut du vendredi soir jusqu’au dimanche soir – puis après ça recommence. C’est comme ça. »

Le grand coup de pied, il se manifeste dans les bris de verre autour de la cabane, les bouteilles de vodka mêlés aux trucs sucrés qui donnent des mélanges explosifs, les joints jusqu’à flotter complètement au-dessus de la réalité…  Ils se saoulent bon marché ici pour ne pas avoir besoin de dépenser trop de sous dans les boites où ils iront après. Au fond, on ne savait pas, mais la cabane se trouve pile sur le meeting-point de ces jeunes ; j’ai pris en quelque sorte leur place, mais heureusement ils ne m’en veulent pas. Ils viennent boire un café, réclamer des biscuits (« Madame, c’est marqué ‘Servez-vous’ sur la table dehors, mais y a plus
rien ! »), discuter un moment, écouter leur musique au chaud, manger. Presque 90% de ceux que j’ai rencontrés étant musulmans, j’ai enlevé le porc de la fondue. Il y a des vrais liens qui se créent, mais tout reste fragile. L’alcool et les joints ne sont pas des amis des partages vrais.

Je continue avec des « flash » captés au vol… – Un couple âgé qui prend le train et vient se réchauffer à la cabane. Monsieur explique : « J’ai eu une attaque, tout à coup je ne peux plus prendre la voiture. » Madame enchaîne :« C’est si difficile de ne jamais savoir quand ça va vous tomber dessus, on n’ose presque plus sortir… » –   Je sais qu’on a 8 minutes, il me semble que Dieu me pousse un peu, alors je propose : « Est-ce que vous aimeriez que je prie pour vous ? » Et quand je vois leur regard un peu méfiant j’ajoute : « Je suis pasteure de l’église vaudoise… »  –  « Ah bon ? Oui mais vous savez, on ne va jamais à l’église… »  –  « Pas grave, je peux quand même prier pour vous si vous le souhaitez ? »
– Après une brève hésitation : « Oui, alors, oui, volontiers. »    On prie. Le LEB arrive. Ils partent, surpris mais reconnaissants. Un petit moment derrière les coulisses, mais qu’est-ce que c’est beau à vivre !

Une pianiste loupe le train pour son concert. Elle vient boire un café à la cabane. Deux semaines plus tard elle donne un concert sur mon piano électrique plus que modeste, sur le quai à côté de la cabane, parce qu’elle trouve cette présence sympa. Bonnet sur la tête, froid aux mains, mais quel moment chaleureux !

Voilà pour un aperçu de ces quelques semaines au Flon. Beau – triste – rigolo – les impressions changent presque toutes les minutes. Les offices ont toujours lieu, mais l’horaire est plus flexible ici au Flon, avec ces nombreux passages.
Théoriquement ça reste :  9.00 la liturgie orthodoxe copte, 13.00 le moment de prière pour ceux qui ont passé ou l’ont demandé par sms,  17.00 le moment de partage autour d’un texte, un chant ou une question, suivi le dimanche par la Sainte Cène et une bénédiction personnelle pour ceux qui le souhaitent.                                                                                                                                         Les offices changent de caractère suivant qui participe, et parfois ça peut devenir même un peu chaotique, mais qu’est-ce que ça fait du bien d’être ensemble !

Je finis ce petit résumé par deux moments qui ont précédé tous ces autres et sans lesquels tout ce qui se vit à la cabane n’aurait pas été possible :

Le directeur du LEB, Monsieur Gachet, débordé par le travail, prend du temps, vient sur place pour nous donner les mesures de l’habitation au Flon ; on ne sait pas encore ce que ça sera, mais ça sera à cet endroit-là : la station métro en dessous de la place de l’Europe, sur le quai du LEB. Puisque ce territoire appartient au LEB, on n’a pas besoin de passer par mille lettre et autorisations.

Quand Enrique, de l’équipe d’entretien du LEB, est venu manger la fondue dans le wagon que je squattais à la gare d’Echallens pendant l’hiver passé, il m’a proposé le Flon comme lieu pour cet hiver (quelle bonne idée, t’as eu, Enrique !). A ce moment-là j’ai juste vu le directeur passer. Je lui ai parlé de cette idée-là et il a dit : « Faut qu’on en discute… mais pourquoi pas ? » Oui,
pourquoi pas ?! Il y aurait eu mille raisons, mais – Monsieur Gachet nous fait cet immense cadeau.

Chaleureuse ambiance!

Chaleureuse ambiance!

 

Autre immense cadeau : la cabane elle-même, pensée dans la tête et construite par les mains plus que douées de Bernard Tripet, ancien membre du groupe de soutien, qui, avec l’aide de Christian Ringgenberg, nouveau membre de mon groupe de soutien, réalise ce petit bijou en bois, démontable et remontable en quelques heures. « Incroyable ! » disent les jeunes qui passent.
Alors, encore une fois : MERCI Bernard !!

Et les jeunes la laissent tranquille pour le moment, notre petite cabane, en arrachant juste les affiches qu’ils trouvent apparemment trop clairement chrétiennes. Pas grave, j’ai constaté qu’il y a plus de monde quand les gens ne savent pas très
bien ce que c’est. Buvette du LEB ? Petit café pour les employés de la commune ? Salle d’attente ? Peu importe, du moment que tout le monde est le bienvenu et peut entrer, ou juste se servir de thé et de biscuits sur la table dehors. « Tout est gratuit, pas de collecte ! » dit une affiche. Et les gens sont très surpris – et très contents : aujourd’hui ce n’est pas souvent qu’on offre sans demander une contre-prestation…

C’est essentiel pour Evangile-en-chemin comme c’est essentiel pour l’Evangile de Jésus-Christ, mort et ressuscité justement pour nous offrir l’amour de Dieu ainsi : « Tout est gratuit, pas de collecte ! »

 

Je continue avec des « flash » captés au vol… – Un couple âgé qui prend le train et vient se réchauffer à la cabane. Monsieur explique : « J’ai eu une attaque, tout à coup je ne peux plus prendre la voiture. » Madame enchaîne :« C’est si difficile de ne jamais savoir quand ça va vous tomber dessus, on n’ose presque plus sortir… » –   Je sais qu’on a 8 minutes, il me semble que Dieu me pousse un peu, alors je propose : « Est-ce que vous aimeriez que je prie pour vous ? » Et quand je vois leur regard un peu méfiant j’ajoute : « Je suis pasteure de l’église vaudoise… »  –  « Ah bon ? Oui mais vous savez, on ne va jamais à l’église… »  –  « Pas grave, je peux quand même prier pour vous si vous le souhaitez ? »